
Entretien exclusif:
« Notre mission est de contribuer au développement de nos pays membres par un canal qui est le secteur privé. »
Christopher Balliet Bleziri, Représentant-Pays de la Société Financière Internationale au Togo
La Société Financière Internationale (IFC), membre du Groupe de la Banque mondiale, est la plus importante institution de financement du développement dédié exclusivement au financement du secteur privé dans les pays émergents. Basée à Washington, elle accroit ses investissements dans notre pays où elle a ouvert un bureau permanent en octobre 2019.
Christopher Balliet Bleziri, Représentant-Pays de IFC au Togo, nous présente lors d’un grand entretien l’engagement de son institution et ses espoirs concrets pour le secteur privé au Togo.
Imagine Demain : Quelles ont été les principales raisons pour lesquelles IFC a ouvert son bureau à Lomé en 2019 ?
Christopher Balliet Bleziri: La Société Financière Internationale (IFC), membre du Groupe de la Banque mondiale chargé du financement du secteur privé, était déjà active au Togo avant 2019. Notre mission est de contribuer au développement de nos pays membres par un canal qui est le secteur privé. Nous avons soutenu des investissements importants dans des secteurs clés comme la production d’énergie, avec la centrale de Contour Global Togo, et la logistique avec le terminal à conteneurs de Lome (LCT). Nous faisons partie des institutions qui ont très tôt cru en l’avenir du Togo.
Pourquoi avons-nous ensuite ouvert un bureau ? L’explication est simple. La stratégie d’IFC a évolué avec le temps. Nous avons compris que pour avoir plus d’impact dans nos opérations, il nous faut être plus proche de nos clients, mieux comprendre l’écosystème dans lequel ils opèrent, cerner les inefficiences de marché qui s’imposent à eux ou freinent leur croissance. Nous avons aussi compris que si nous voulons faire les choses différemment, il nous faut adopter une approche proactive et dynamique, rompre avec les méthodes habituelles et considérer que, pour que les projets soient bancables, il faut les aider à le devenir. Avec l’ouverture de notre bureau au Togo, nous avons multiplié, en moyenne, nos interventions annuelles par trois.
Comment se portent vos activités au Togo ?
Les activités de IFC sont en pleine croissance, mais de nombreux défis restent à relever. Nous avons choisi d’être plus présents dans l’économie réelle. Ainsi, nous travaillons à répondre davantage aux besoins du secteur agro-industriel, du secteur manufacturier, du secteur financier et aussi des infrastructures (transport, logistique, numérique).
Pour vous donner quelques chiffres. Entre 2020 et 2024, nous avons mobilisé et investi près de 200 millions de dollars au Togo soit deux fois plus que les cinq années précédentes. Ces engagements couvrent plusieurs secteurs d’activité : les infrastructures numériques, le secteur de l’énergie, l’industrie, le textile, ainsi que le secteur financier pour accompagner les PME notamment à travers le secteur bancaire. En parallèle, nous avons développé un pipeline de projets que nous souhaitons accompagner. À ce jour, il s’élève à plus de 250 millions de dollars. Il s’agit de projets qui sont actuellement en phase d’instruction. Ces projets sont portés à la fois par des partenaires togolais que régionaux ou internationaux.
Comment votre institution accompagne-t-elle les entrepreneurs dans la mise en œuvre de leurs projets ?
Nous finançons les entreprises en leur apportant divers types de produits et services. Nous apportons de la dette, du financement en fonds propres, du quasi-capital. Ces outils ne sont pas mutuellement exclusifs. Nous pouvons les combiner dans un même projet selon les besoins de l’entreprise. Nos financements sont en général sur de longues maturités et s’adaptent aux besoins des projets concernés.
Une de nos valeurs ajoutées réside dans l’assistance technique que nous apportons à nos partenaires. Notre présence globale est un immense atout. Autrement dit, je suis en mesure de vous dire qu’après analyse de votre plan d’affaires, nous sommes capables de renforcer les capacités de votre entreprise au regard de notre expertise et de projets similaires que nous avons accompagnés dans d’autres régions du monde.
Bien sûr, il est essentiel de s’adapter au contexte local dans lequel l’entreprise évolue. Cependant, cette expérience à l’échelle mondiale fait que nous sommes capables d’orienter, d’influencer ou de suggérer à nos partenaires les meilleures pratiques.
En résumé, nous mettons cette expertise à votre service pour vous aider à faire grandir votre entreprise ou votre projet, ou à atténuer les risques liés à ce dernier.
Comment IFC évalue-t-elle l’impact des projets qu’elle accompagne ?
Nous travaillons à mettre l’accent sur ce qui nous semble être plus important que le financement, l’impact effectif de nos projets sur la vie des parties impliquées et des bénéficiaires. Combien d’emplois cette entreprise crée-t-elle ? Combien de femmes sont touchées par le projet qui va être financé ? Combien de jeunes ont accès à ce service ? Quel impact cela a-t-il sur le réchauffement climatique ? Est-ce que ce projet contribue à l’atténuation de ce phénomène, ou non ? Est-ce que cette entreprise va contribuer à la richesse locale et nationale ? Nos investissements sont associés à des indicateurs de développement, qui seront suivis et évalués dans le temps. Ils seront monitorés de façon indépendante pour pouvoir juger si oui ou non l’accompagnement a été fructueux. Nous monitorons spécifiquement ces indicateurs avec les outils que nous avons développés pour pouvoir nous auto-évaluer.
Le volume d’investissement de IFC dans l’économie togolaise est en progression. Quel est votre défi pour les années à venir ?
Notre objectif est naturellement d’accroitre nos volumes de financement, de maintenir la qualité de notre portefeuille et d’accompagner les secteurs d’activité porteurs de l’économie togolaise.
Pour ce faire, nous mettrons davantage le focus sur l’agro-industrie, l’industrie manufacturière, le transport et la logistique, l’accès à un financement pérenne et abordable pour les PMEs, accompagner les entreprises à prendre part à la lutte contre le changement climatique qui est une opportunité pour le continent africain. C’est vraiment ce partenariat de long terme que nous souhaitons établir. Ce n’est pas quelque chose qui se décrète ou qui devient systématique du jour au lendemain. Mais chaque action que nous menons est un jalon que nous posons pour atteindre ces objectifs. Et tout cela repose sur la confiance. Est-ce que les gens ont confiance en IFC lorsqu’ils entendent ce nom ? Pour nous, c’est vraiment le plus important.
En quoi consiste le programme d’appui aux champions nationaux, mis en place par IFC ?
Cette initiative consiste à identifier et à accompagner des entreprises opérant dans l’industrie, l’agriculture, le tourisme, la santé, l’éducation, le développement immobilier, la distribution. Ces entreprises locales ont déjà une certaine taille, elles ont déjà accès au financement bancaire mais plusieurs facteurs retardent leur croissance.
Leurs besoins de financement ne peuvent plus être couverts par les institutions bancaires et leurs projets n’atteignent pas le seuil minimum de financement des partenaires au développement comme IFC. Ces entreprises stagnent.
Les facteurs peuvent être multiples. Il peut y avoir des faiblesses dans la gouvernance, la gestion financière, dans la comptabilité analytique. D’autres éléments, comme la gestion des impacts environnementaux et sociaux peuvent être critiques. A ces entreprises, nous offrons un accompagnement sous forme d’assistance technique qui les préparera à lever du financement auprès de IFC ou d’autres partenaires dans un avenir proche. Nous avons plusieurs partenaires au Togo, en Guinée Conakry, au Niger et d’autres pays de la sous-région qui bénéficient de cette assistance technique.
Quel type d’entreprises financez-vous ?
Nous finançons aussi bien des entreprises de grande taille que des entreprises plus petites. L’essentiel est que ces entreprises soient capables de générer de la richesse, ce qui leur permettra de grandir dans le temps.
Mais de façon plus large, nous investissons et finançons des entreprises qui développent et exploitent des projets d’infrastructure, des projets agricoles, l’industrie légère, des projets touristiques etimmobiliers, des projets dans la sante et le logement, des projets de technologie disruptive comme les Fintechs, Agtechs, Edtech, dans la mobilité urbaine, etc. Nous finançons aussi des intermédiaires financiers comme les banques et les fonds d’investissement. Lorsque nous déployons du capital, nous engageons notre réputation et nous aidons nos partenaires à respecter nos normes de performance. Le plus important pour nous c’est la confiance que nous développons avec nos partenaires.
Comment les entrepreneurs togolais peuvent-ils accéder aux financements proposés par la Société Financière Internationale (IFC) ?
Plusieurs chefs d’entreprises togolais ont déjà bénéficié des financements de IFC.
Si vous avez un bon projet, si vous avez un plan d’affaires, si votre activité génère des flux de trésorerie et est en phase de croissance, nous serons prêts à discuter du financement avec vous.
Quelle est votre appréciation de l’activité économique en général au Togo ?
Je pense que le Togo fait partie des pays qui avancent vite et qui vont surprendre la région notamment avec les réformes courageuses prises par le gouvernement togolais. Malgré les chocs externes, depuis la pandémie de COVID-19, l’économie togolaise a fait preuve de résilience, avec une croissance moyenne de 6,1 % entre 2021 et 2023. Cependant, la croissance économique générée par le Togo n’a pas réussi à réduire de manière drastique le niveau de pauvreté. Ceci n’est pas spécifique au Togo mais démontre que beaucoup reste encore à faire.
Avec la crise sécuritaire dans le Sahel, les États de la sous-région sont limités dans leurs capacités budgétaires, puisque leurs ressources servent à garantir la sécurité des personnes et des investissements.
Une des solutions reste pour moi, le secteur privé. Le Togo a la chance d’être un pays très audacieux en termes de réformes pour améliorer le climat des affaires comme l’a démontré les résultats du récent rapport Business Ready de la Banque Mondiale. Cela doit maintenant se transcrire en investissements directs.
Pour exemple, nous avons accompagné une entreprise sri-lankaise qui s’installe au Togo dans le secteur du textile. Cette entreprise va créer 2 700 emplois, dont 70 % seront destinés aux femmes. C’est une entreprise internationale qui a choisi de s’implanter au Togo dans un secteur porteur au niveau mondial. À partir du Togo, elle fabriquera des vêtements « Made in Togo », destinés à l’exportation. Pour nous, c’est une reconnaissance des efforts du Togo. Cela montre que les investisseurs croient au potentiel du pays.
Cependant, il faut aller encore plus loin pour rassurer et attirer encore plus d’investisseurs, tant étrangers que locaux, afin qu’ils investissent davantage. Il est crucial d’avoir plus d’investissements privés pour créer plus d’emplois, accroître les richesses pour les individus et pour l’économie. Nous travaillons en symbiose avec la Banque mondiale, notre institution sœur, et avec laquelle nous croyons fermement au potentiel de ce pays. Ensemble, nous voulons véritablement contribuer à la transformation structurelle de l’économie togolaise.
Propos recueillis par Joseph Mensah-Boboe.