Lors de la réunion du Conseil de concertation État-secteur privé du 19 novembre 2024, Jonas Daou, président de l’Association des grandes entreprises du Togo (AGET), a présenté au gouvernement les conclusions de l’analyse du secteur agricole menée par son Association et le Conseil national du patronat (CNP). Ce diagnostic a abouti à six ensembles de recommandations pour moderniser et dynamiser l’agriculture au Togo. Le rapport détaillé du travail devrait être remis à Essowè Georges Barcola, ministre de l’Économie et des Finances, qui préside le Comité technique de concertation État/secteur privé. M. Daou, au nom de ses collègues entrepreneurs, a salué l’initiative du dialogue État – secteur public de cette année et estimé qu’ « inscrire de manière spécifique l’agriculture et toutes les activités connexes dans le cadre de la concertation État-secteur privé est sans doute un choix idoine pour attirer des investisseurs privés et favoriser une production plus efficace ».
L‘AGET et le CNP ont évoqué l’importance stratégique et vitale du secteur agricole, rappelant que, par le passé, des institutions comme la Caisse Nationale de Crédit Agricole (CNCA) et la Banque Togolaise pour le Développement (BTD) avaient été créées pour faciliter l’accès au crédit aux acteurs et stimuler la croissance du secteur.
Aujourd’hui, la vision du secteur agricole est clairement définie dans le document de politique agricole 2016-2030 du gouvernement. Celle-ci ambitionne d’aboutir à «Une agriculture moderne, durable et à haute valeur ajoutée au service de la sécurité alimentaire nationale et régionale, d’une économie forte, inclusive, compétitive et génératrice d’emplois décents et stables à l’horizon 2030 ».
Les défis soulevés par le secteur privé
L’AGET et le CNP s’appuyant sur une analyse de la Banque mondiale, soulignent que le développement agricole dans un pays s’accompagne inévitablement d’une diminution de la population active dans ce secteur, un rabais dû à l’augmentation de la productivité et à la mécanisation.
Au Togo, bien qu’une légère baisse ait été enregistrée — la population active dans l’agriculture étant passée de 70 % en 2001 à 65 % en 2022 — cette proportion reste élevée comparée à d’autres pays. Par exemple, la Côte d’Ivoire affiche 46 %, le Ghana 40 %, le Maroc 30 %, l’Afrique du Sud 19 %, la France 3 % et les États-Unis 1,5 %. Ces chiffres mettent en évidence la nécessité de rendre le secteur agricole et les filières annexes plus efficients.
Un autre défi réside dans la compétitivité, mise à mal par une faible productivité, ainsi que par des problèmes récurrents tels que les importations frauduleuses et la concurrence déloyale. La concurrence déloyale nuit à l’attractivité locale, entravant la capacité à produire et à rester compétitif sur le marché.
Le secteur privé pointe également d’autres facteurs qui réduisent les performances du secteur agricole. Parmi ceux-ci figurent la taille réduite des parcelles exploitées, les problèmes fonciers persistants, le faible niveau de mécanisation, la place marginale accordée à la recherche et au développement, les difficultés liées à la qualité des semences, ainsi que le coût élevé du transport.
Une étude menée par l’USAID (acronyme en anglais de l’Agence américaine pour le développement international) a révélé que sur les marchés de Lomé, les prix des produits agricoles sont fortement influencés par le coût du transport depuis les zones de production. L’étude souligne de plus que les interventions de la police, de la douane et de la gendarmerie (PDG) le long des trajets accentuent ces coûts.
L’AGET et le CNP soulignent la nécessité d’améliorer le niveau des techniques agricoles ainsi que la qualité des infrastructures, notamment celles liées au transport. Il recommande que la chaîne logistique du transport soit considérée avec la même importance que la production et la transformation, afin de renforcer la compétitivité et l’efficacité du secteur agricole.
Face à ces nombreux défis, le secteur privé observe un désengagement progressif des acteurs, notamment des producteurs dans certaines filières agricoles. C’est le cas du maïs, dont la production au Togo reste faible, avec seulement 1,2 tonne par hectare, contre 1,7 tonne en Côte d’Ivoire, 2 tonnes au Ghana et 5 tonnes en Afrique du Sud. Un autre problème majeur réside dans le manque de coopératives et l’absence de véritable collaboration entre les producteurs, voire des consommateurs. La réponse à ces défis appelle à des actions regroupées en six axes.
Six axes de propositions de l’AGET et le CNP pour moderniser et renforcer la compétitivité de l’agriculture
Face au constat actuel, le secteur privé reconnaît les efforts des pouvoirs publics à travers diverses initiatives. Cependant, il estime qu’un travail important reste à accomplir pour relever les défis du secteur.
La plateforme du secteur privé, réunissant l’AGET et le CNP, a formulé des recommandations stratégiques. Celles-ci, regroupées en six axes principaux, invitent à moderniser l’agriculture et à renforcer sa compétitivité.
Le premier axe de proposition concerne la productivité dans l’agriculture et est analysé d’ abord sous l’aspect de la politique fiscale.
La productivité agricole figure en tête des propositions formulées pour le développement du secteur. L’accent est mis sur la nécessité de coordonner les politiques agricole et fiscale pour garantir leur efficacité.
« Nous souhaitons que la politique agricole et la politique fiscale soient menées de concert, afin d’assurer une parfaite harmonie dans leurs objectifs », a déclaré le porte-parole de la plateforme du secteur privé, soulignant l’importance de cette synergie entre agriculture et fiscalité pour booster la productivité. « La fiscalité, première arme des pouvoirs publics, doit être mise à profit pour stimuler l’agriculture, en veillant à ce que les deux politiques soient étudiées conjointement. ».
Le secteur privé suggère également que les pouvoirs publics utilisent l’arme budgétaire pour stimuler le secteur. Les ambitions portées par la politique agricole au Togo devraient se refléter dans le volet budgétaire, en particulier sur des aspects clés tels que les intrants, les semences, et surtout la recherche et le développement, trop souvent négligés dans les budgets alloués.
En matière de productivité, l’accent est aussi mis sur la promotion sociale. La plateforme du secteur privé insiste sur la nécessité d’accorder une importance sociale aux acteurs du secteur agricole et de l’agro-industrie. Ces acteurs doivent se sentir valorisés, mis en avant, non seulement au niveau de l’État, mais aussi au niveau des collectivités locales, des cantons et des mairies.
En raison de la récurrence des problèmes fonciers, le secteur privé propose que l’État envisage la création de tribunaux fonciers. Selon eux, le traitement de ces questions par les tribunaux d’instance entraîne des retards et porte parfois atteinte à la pertinence dans le traitement des dossiers. Il serait donc pertinent de mettre en place des juridictions spécialisées dans les affaires foncières.
Le deuxième axe de proposition porte sur la transformation agro-industrielle. Selon le secteur privé, une réflexion sur la stratégie fiscale dans le secteur agricole permettrait de stimuler davantage l’investissement dans la transformation agro-industrielle. La nouvelle loi sur les Partenariats public-privé devrait permettre d’améliorer l’efficacité dans le secteur de la transformation agro-industrielle.
Le secteur privé déplore que, bien que le gouvernement ait pris des mesures pour fixer des quotas d’achats de produits locaux par les importateurs, ces dispositions ne donnent pas les résultats escomptés. Cela est dû à la fois à la réticence des importateurs et à la capacité limitée des fonctionnaires à appliquer efficacement ces mesures. Le secteur privé souhaite que, lorsque des décisions sont prises, les moyens nécessaires pour en assurer le respect doivent être mis en œuvre, afin d’en tirer de meilleurs bénéfices.
Le troisième axe de proposition concerne l’accès au financement. La plateforme du secteur privé suggère que le rôle du Mécanisme Incitatif de Financement Agricole (MIFA) soit repensé et réorganisé.
Le secteur privé souhaite explorer avec les pouvoirs publics, la possibilité de créer une banque dédiée spécifiquement aux problématiques du secteur agricole.
Une autre proposition, la quatrième, concerne les innovations. Il est essentiel de prendre en compte la particularité des entrepreneurs agricoles en introduisant quelques innovations juridiques et sociales pour repenser l’entreprise agricole. Cela inclut la mise en place d’une fiscalité adaptée, ainsi que la prise en compte des questions d’assurances, de l’incertitude climatique, des coûts des intrants et d’autres éléments externes qui échappent au contrôle des entrepreneurs, tels que la pluviométrie. Ces innovations permettront de protéger les acteurs agricoles contre la prédation des fonctionnaires, en mettant en place des tribunaux administratifs pour permettre de poursuivre l’État lorsque ses agents se comportent mal envers les agriculteurs.
Le cinquième axe de proposition vise à renforcer la position du Togo sur les filières de niche, afin d’en maximiser l’efficacité. Le dernier axe de proposition concerne la formation et la recherche. Le pays reste relativement faible sur les questions de recherche et développement. La plateforme appelle à une vision à long terme en investissant davantage dans la recherche. Le secteur privé souhaite qu’il y ait plus qu’une seule école d’ingénieurs agronomes et plaide pour la création de nouveaux centres de recherche. Cela permettrait de proposer des formations de haut niveau et de trouver des solutions à des problématiques telles que la qualité des terres et au choix des semences.