Entretien
Mounerou Salou, professeur de bactériologie-virologie est le point focal pour le suivi de la résistance aux antimicrobiens pour le ministère de la Santé, de l’Hygiène Publique et de l’Accès Universel aux Soins. Il est aussi le responsable du laboratoire national de référence pour la résistance aux antimicrobiens.
Prof Salou fait le point pour « Imagine Demain » sur la résistance aux antimicrobiens, un problème majeur de santé publique, dû à l’usage abusif et excessif de médicaments antimicrobiens en santé humaine et animale et dans la production alimentaire. Il nous alerte sur le fait que, dans les prochaines années, les infections courantes pourraient être à nouveau meurtrières à cause de la résistance aux antimicrobiens.
Cette interview, diffusée pour la première fois en 2021 par notre journal, est à nouveau présentée vu la pertinence du sujet abordé.
Imagine Demain : Qu’est que la résistance aux antimicrobiens ?
Prof Mounerou Salou : La résistance aux antimicrobiens c’est lorsque des micro-organismes (bactéries, virus, champions, parasites) deviennent résistants aux antimicrobiens (les antibiotiques, antiviraux, antifongiques, antiparasitaires). Cette résistance apparaît parce que nous n’utilisons pas bien les antimicrobiens, ce qui rend les microbes insensibles à leur action. Il y a des micro-organismes qui, de façon naturelle, peuvent être spontanément résistants à des antimicrobiens donnés et il y en a qui leur sont sensibles. Ceux qui sont sensibles peuvent évoluer et devenir résistants en cas d’usage inadapté et abusif de ces médicaments antimicrobiens, trouvant des moyens pour échapper à leur action. Cela a pour conséquence que des médicaments ne parviennent plus à guérir des infections.
Pourquoi ce sujet suscite-t-il un intérêt particulier ?
Nous risquons d’arriver dans une situation d’impasse thérapeutique où nous n’aurons plus de moyens de traitement des infections. Les derniers antibiotiques ont été mis au point vers l’an 2000 soit il y a 22 ans. Ils sont donc assez anciens. Malheureusement, de nombreuses résistances aux antibiotiques sont apparues et il n’y a pas de perspectives de mise au point des produits de remplacements à court terme. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) alerte sur le fait que, si nous ne faisons rien en 2050, la résistance va tuer dix millions d’individus par an, plus que les accidents de la voie publique, plus que le diabète, le tétanos. Or, 2050, c’est demain. Donc dès à présent, il faut faire quelque chose pour contenir les résistances. La résistance aux antimicrobiens, c’est peut-être la prochaine pandémie à combattre. Le problème étant planétaire, en 2015, les grandes organisations internationales qui s’occupent de la santé humaine, animale, végétale-Organisation Mondiale de la Santé(OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), Fonds des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), – et plus tard de la santé environnementale se sont mises ensemble pour adopter un plan d’action mondial qui devrait permettre partout dans le monde de contenir ou d’endiguer le fléau.
Concrètement, le problème se pose-t-il au niveau de la population qui utilise de manière irrationnelle les antibiotiques ?
Il concerne à la fois les praticiens dans le domaine de la santé humaine, animale, de l’agriculture, tout comme les malades et tout le monde.
Il arrive qu’une personne se voit prescrire 24 gélules, en consomme 20 et donne les 4 restantes à son frère qui semble affecté par la même maladie. Non ! Il faut comprendre que la prise des antibiotiques n’est pas automatique. Ce ne sont pas des bonbons ou des petits pains qu’on va acheter. Je ne peux prendre des médicaments que sur prescription médicale ou sur avis d’un pharmacien. D’ ailleurs, si vous le vérifiez, le pharmacien dans la limite de ses prorogatifs ne vous donnera que ce qu’il vous faut ou vous donnera des conseils. Il peut vous donner un calmant, un antalgique, le temps que vous aller voir un médecin ou un prescripteur.
Quel est l’état des lieux de la résistance aux antimicrobiens en Afrique de l’ouest et précisément au Togo ?
En Afrique de l’ouest la situation est alarmante. Elle n’est pas propre au Togo. Aussi, on a tendance à dire que les microorganismes sont sans frontières. La preuve, pour les virus, le coronavirus a été un exemple. Dès qu’il y a eu un cas en Chine, quelque temps après, le virus est arrivé au Togo. C’est la même chose. Vous allez aujourd’hui en Chine faire des achats, si vous n’êtes pas dans les règles d’hygiène, de lavage de mains, vous reviendrez avec des bactéries.
Nous-mêmes, nous sommes une bombe microbiologique. Quand quelqu’un décède, ce sont ses propres bactéries qui accélèrent sa décomposition. Ce ne sont pas des fournis qui viennent d’ailleurs. Ces bactéries vivent avec nous et sont des bactéries « amies ». Elles profitent de nous mais nous aident à obtenir certaines substances qui nous permettent de bien vivre. Lorsque nous prenons les antibiotiques de f acon abusive, nous les tuons. Ne voulant pas mourir, elles vont mettre en place des mécanismes pour résister et on peut aller vers le développement de bactéries multi-résistantes voir des bactéries hautement résistantes. Aujourd’hui, on découvre ces bactéries multi-résistantes dans notre sous-région avec la production d’enzymes, comme Capa-pénémases, Béta-lactamases à spectre élargie…Par exemple lorsqu’une bactérie produit une bêta –lactamase à spectre élargie, il y a toute une gamme d’antibiotiques de la famille des beta-lactamines qui n’est plus utilisable alors que ce sont les antibiotiques les plus accessibles, les moins dangereux. Les bêta-lactamines constituent 80% des prescriptions. Prenons les bêta-latamases à spectre élargie. Le terme spectre élargie leur confère la propriété de détruire des antibiotiques de plusieurs niveaux d’efficacité. Ils peuvent anéantir jusqu’au niveau 3 sur une échelle de 4 niveaux d’antibiotiques. Par exemple, le staphyloccus aureus est résistant à la méticilline. Dès que j’ai cette bactérie, je ne peux plus utiliser les bêta-lactamines pour me soigner.
Qu’est qui se fait aujourd’hui ? Quels sont les perspectives pour lutter contre la résistance aux antibiotiques ?
Pour combattre la résistance aux antimicrobiens, il y a le plan d’action adopté par l’Assemblée mondiale de la Santé en mai 2015 dont j’ai parlé. Chaque pays était instruit d’élaborer son plan d’action national, en s’alignant sur le plan mondial qui comporte 5 objectifs majeurs. Primo, c’est sensibiliser, parce qu’il faut que les gens prennent consciences. Secondo, c’est renforcer les connaissances par la surveillance et la recherche, donc mener des études pour apprécier l’ampleur du phénomène. Tertio, il faut prioriser la prévention et la contrôle des infections. La vaccination par exemple permet de prévenir des infections contre lesquels on utilise à tort les antibiotiques. Contre une maladie virale, si je me fais vacciner, j’évite d’utiliser un antibiotique et je serai à l’ abri des infections résistances aux traitements antibiotiques. Il faut également que nous respectons les mesures d’hygiène et d’assainissement.
Quarto, il ya aussi le bon usage ou l’usage rationnel des antimicrobiens. Il faut former les prestataires de soins à la bonne prescription des antibiotiques. Le dernier objectif, pas des moindres, c’est la mobilisation de ressources financières pour avoir les moyens pour lutter contre ce fléau. Au Togo, un plan d’action a été rédigé. Un laboratoire national pour le suivi de la résistance aux antimicrobiens a été identifié. Un point focal national a été désigné. Nous participons depuis 4 ou 5 ans aux actions mondiales décrétées : journée mondiale de lavage des mains, semaine de bon usage des antimicrobiens… Des actions de sensibilisation se font. Si vous remarquez maintenant au niveau des officines de pharmacies, vous n’avez accès à un antibiotique que sur présentation d’une ordonnance. Il y a des activités que vous ne voyez pas, par exemple, sur le contrôle de la qualité des médicaments antimicrobiens. Il y a des actions qui se font discrètement mais la première reste la sensibilisation et cela fait partie de ce que vous les journalistes, vous nous aidez à faire, à apporter l’information pour une meilleure compréhension du problème et une meilleure prise de conscience. L’antibiotique n’est pas automatique ! L’antibiotique n’est pas du pain ! Un médicament doit être pris sur prescription ou sur avis d’un pharmacien.
Propos recueillis par Joseph MB
