
Entretien exclusif
Dans une interview accordée à Imagine Demain, Seidik Abba, fin connaisseur du Sahel, décrypte en profondeur les causes et les conséquences des attaques terroristes dans les pays du Golfe de Guinée, frontaliers du Burkina Faso. Il livre également son analyse sur la stratégie togolaise face à cette menace terroriste grandissante. Journaliste-écrivain et universitaire, Seidik Abba préside actuellement le Centre international de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES, Think Tank, basé à Paris) et collabore comme chercheur associé à l’Université Polytechnique du Haut-de-France et au Groupe interdisciplinaire de recherche en histoire de l’Afrique (GIRHA) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM, Canada).
Imagine Demain : Pour quelles raisons les groupes terroristes débordent la frontière sud du Burkina Faso, notamment le JNIM ?
Seidik Abba: Il est important de comprendre la stratégie des groupes terroristes qui opèrent au Sahel, en particulier les deux groupes les plus actifs au Sahel central à savoir le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans, appelé GSIM ou le JNIM et l’État islamique au Grand Sahara, qui ont pour agenda de porter la menace terroriste du Sahel vers les pays du Golfe de Guinée.
Rappelons que le GSIM/JNIM est formé de trois grandes composantes : Ansar Dine dirigée par Iyad Ag Ghali ; la katiba Macina également appelée le Front de libération du Macina (FLM), dirigée par Amadou Koufa, et enfin Ansarul-Islam dirigé par Jafar Dicko.
À côté de ce groupe, il y a une autre grande enseigne : l’État islamique au Grand Sahara (EIGS), émanation de l’État islamique au Levant (Irak et Syrie).
Ces deux grands groupes ont pour agenda, après avoir écumé le Sahel, de prendre pied sur la côte ouest-africaine. Ils estiment qu’il est important, pour eux en tant que mouvements terroristes, d’avoir accès à la façade maritime ouest du continent. Dans cette stratégie, le Burkina Faso est une cible privilégiée. Pays sahélien, le Burkina Faso est frontalier de quatre pays du Golfe de Guinée : le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana et le Togo. Pour ces groupes jihadistes, s’implanter au Burkina Faso est donc un enjeu stratégique qui leur permet d’accéder aux pays côtiers frontaliers. De plus, le Burkina Faso a une superficie de 274 000 km², comparativement au Mali qui a une superficie de 1 240 000 km² et au Niger qui a une superficie de 1 267 000 km², ce qui facilite l’exportation de la menace à partir du territoire burkinabé. A cause du contexte sécuritaire actuel très tendu au Burkina Faso, les groupes terroristes profitent pour dérouler leur agenda. Le Togo, le Bénin et la Côte d’Ivoire ont déjà été attaqués. Seul le Ghana reste aujourd’hui relativement épargné, mais il est probable que leur projet soit d’attaquer également ce pays à l’avenir.
Pourquoi la menace terroriste persiste-t-elle dans ces pays limitrophes du Burkina Faso, malgré les mesures de prévention et de défense mises en place ?
Il est évident que si la menace n’est pas contenue au Burkina Faso, elle ne peut que déborder dans les autres pays limitrophes. Ce n’est donc pas tant que les pays voisins ne font pas d’efforts, mais parce que le Burkina Faso n’est pas en mesure d’empêcher les attaques sur son propre sol et par ricochet de prévenir celles dirigées contre ses voisins depuis son territoire. Le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Togo font des efforts considérables pour se prémunir des attaques terroristes. Dans le cas particulier du Togo, au regard de la stratégie mise en œuvre, je suis persuadé que les efforts donneront des résultats dans les semaines, mois ou années à venir. Il me semble évident que le Togo a tiré des enseignements de l’échec de la stratégie du tout militaire et sécuritaire au Sahel pour développer une réponse holistique portée par un leadership politique assumé. Ce qui fait la force de la stratégie togolaise ce sont ces trois piliers : la réponse sécuritaire et militaire ; le pilier préventif et la réponse en matière de développement, particulièrement dans les zones concernées afin d’empêcher le recrutement des jeunes par ces groupes.
Notre centre, le CIRES, a passé au peigne fin la stratégie togolaise et a trouvé de nombreux aspects positifs dans cette approche.
Quels sont très précisément les contours de cette stratégie anti-terroriste togolaise ?
L’évaluation de la stratégie togolaise, menée par le Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel (CIRES) que je préside, a montré qu’elle associe trois piliers essentiels. Premièrement, la réponse militaire et sécuritaire ; ensuite la prévention à travers la création dès mai 2019 du Comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent (CIPLEV) ; et enfin, un troisième pilier fondé sur la réponse en termes de développement. Je n’ai pas le moindre doute que cette stratégie holistique va aboutir tôt ou tard à des résultats pérennes. Elle nous éloigne clairement « du tout militaire et sécuritaire » qui n’a pas prospéré au Sahel. Dans le cas du Togo, l’approche est complètement différente : elle est holistique, intègre simultanément les trois piliers qui sont mis en œuvre conjointement et pas séparément.
Quels sont, selon vous, les atouts de la stratégie adoptée par le Togo?
L’un des plus grands atouts de la stratégie togolaise, c’est le leadership politique dont elle bénéficie. La réponse au défi sécuritaire bénéficie de l’implication directe du président de la République, Faure Gnassingbé. Il s’est ainsi rendu sur le terrain dès le lendemain de la première attaque perpétrée dans la nuit du 9 au 10 novembre 2021 à Sanloaga, dans la préfecture de Kpendjal. Outre l’inspection des lieux, le déplacement au chevet des blessés civils et militaires, le président avait endossé son costume de Chef suprême des armées pour échanger directement sans tabou ni langue de bois avec les hommes de l’opération Koundjoare dont il avait ordonné la mise en place dès 2018 pour protéger le Togo de la menace terroriste. Ce déplacement sur le terrain pour s’assurer des conditions de travail des militaires engagés sur la ligne de front sous les ordres du général Dadja Maganawe a été crucial pour renforcer leur moral.
Moins d’une semaine après, le président Faure a récidivé en se rendant du 14 au 20 novembre 2021 sur le terrain afin de constater de visu les évolutions, d’évaluer le moral des troupes et de discuter directement avec les populations locales.
En plus de ce leadership politique, l’autre point fort de la stratégie togolaise c’est sa composante en termes de développement. Un enjeu essentiel pour éviter que les groupes terroristes trouvent un terreau favorable à leurs activités. Le Togo a ainsi mis en place le Programme d’urgence et de renforcement de la résilience des communautés (PURS).
La région des Savanes, épicentre de la menace, s’étend sur 8 470 km² et compte une population de 1 143 000 habitants, soit une densité de 135 habitants par km². Cette région se compose administrativement de sept préfectures. C’est dans cette région des Savanes que le PURS connait sa traduction concrète, même si les autres régions en bénéficient également. Mais, c’est surtout dans cette région que la menace est en effet plus pressante. Le PURS qui couvre la période 2022-2025 avec un budget estimé à près 250 milliards de FCA repose sur trois composantes essentielles qu’il convient de souligner.
Tout d’abord, le PURS comprend, sous l’égide du ministre Kanfitine Tchede Issa, un volet construction des pistes rurales pour aider à désenclaver les localités de la région. Le programme inclut l’amélioration de l’accès des populations aux services sociaux de base ; le renforcement des capacités des communautés à générer la richesse ; le renforcement de la sécurisation et de l’administration du territoire. On peut déjà mettre au crédit du PURS quelques réalisations importantes : environ 850 km de pistes ont déjà été achevées, 774 kilomètres supplémentaires sont actuellement en cours d’exécution et environ 540 kilomètres supplémentaires sont prévus ; 491 forages ont été réalisés ; au moins quatre mini-adductions d’eau potable ont été installées ; près de 5 500 branchements domestiques ont été effectués. Sur le volet prévention, le CIPLEV est un mécanisme de prévention conçu pour s’attaquer aux causes profondes du terrorisme, en examinant les structures et les facteurs susceptibles d’affaiblir la cohésion sociale. Ce comité interministériel est une initiative originale mise en place par le Togo. Il mène diverses activités de sensibilisation auprès de différentes couches socioprofessionnelles, notamment les conducteurs de motos, les jeunes, les femmes, les chefs traditionnels, les autorités religieuses, les élus locaux et les médias. En 2023, le CIPLEV a touché plus de 20 000 personnes issues de divers groupes sociaux grâce à ses actions sur la thématique de l’extrémisme violent et du terrorisme. L’objectif est de garantir une vigilance collective et de favoriser la collaboration entre ces groupes et les forces de défense et de sécurité.
À mon avis, le CIPLEV est un mécanisme important. Lorsqu’il est associé au PURS et à la réponse sécuritaire et militaire, il est susceptible de produire des résultats significatifs.
Ainsi, le Togo avance sur trois fronts : une réponse militaire, le CIPLEV pour assurer une prévention efficace, et le PURS qui travaille pour l’urgence et le développement dans la région des Savanes et dans d’autres régions.
Ces efforts sont complétés par les réponses apportées par les ministères sectoriels. En matière d’hydraulique pastorale, les services du ministre d’Etat, ministre des Ressources Halieutiques, Animales et de la Réglementation de la Transhumance qui était ministre de l’Eau et de l’Hydraulique villageoise dans le précédent gouvernement, le général Dahemane Yark se mobilisaient pour s’assurer que les éleveurs nomades ont accès aux services essentiels dont ils ont besoin.
Le ministre d’Etat le général Yark veillait lui-même à entretenir un dialogue régulier et fructueux avec les représentants des communautés nomades, notamment sur les questions de transhumances. L’une des originalités de l’approche togolaise c’est aussi la volonté d’associer l’ensemble du corps social à la réponse sécuritaire. A l’occasion de différentes rencontres avec les forces sociales, le ministre Gilbert Bawara aborde la question du contexte sécuritaire nationale pour que ses interlocuteurs l’intègrent dans leur analyse de la situation socio-économique et dans leur cahier des doléances.
Enfin, le grand mérite de la diplomatie togolaise, menée par le ministre Robert Dussey, c’est d’avoir compris très vite l’importance de ne jamais couper le pont avec les pays de l’Alliance des États du Sahel(AES). Compte tenu du fait que la menace terroriste a pour épicentre ces pays de l’AES, le Togo a choisi dès le début de maintenir un dialogue avec eux afin de coordonner toute réponse sécuritaire transfrontalière et régionale.
L’approche togolaise mérite d’être saluée, car elle ne ferme pas la porte aux pays concernés. Peu importe les efforts déployés des autres pays, si elles ne travaillent pas avec les pays de l’AES, elles risquent de passer à côté des enjeux majeurs. À mon avis, il est donc important d’intégrer cette dimension dans les stratégies de réponse. En tant que président du CIRES et fort de mon expertise sur la question du Sahel, je considère que l’approche togolaise est à la fois intelligente et réfléchie. Elle bénéficie, heureusement, d’un leadership politique solide, ce qui laisse entrevoir des résultats rapides. Tout cela me semble être la preuve d’une réponse adaptée et efficace. Il y a des raisons réelles d’être optimiste quant à l’efficacité de cette stratégie.
Vous avez esquissé les contours de la stratégie togolaise et indiqué qu’elle était porteuse d’espoir de succès contre la menace terroriste. Mais, comment s’assurer que cette stratégique que vous jugez prometteuse soit effectivement mise en œuvre sans ratés?
Le président Faure s’est entouré de personnalités de premier plan qui travaillent sur le modèle de l’orchestre : chacun de son côté mais en équipe et dans la complémentarité. L’équipe comprend plusieurs ministres clés dans une vraie démarche interministérielle adaptée pour répondre aux défis sécuritaires.
J’évoquais plus haut les adductions d’eau, et nous savons que le ministre d’État, ministre des Ressources Halieutiques, Animales et de la Réglementation de la Transhumance qui était ministre de l’eau et de l’ hydraulique villageoise dans le précédent gouvernement, le général Dahemane Yark, a fait de grands efforts pour assurer l’accès à l’eau potable des populations de la région des Savanes . Il a œuvré avec soin pour permettre aux populations nomades d’accéder à l’eau potable.
Le ministre de la Sécurité et de la Protection civile, le Colonel Calixte Batossie Madjoulba est très impliqué personnellement dans le volet prévention à travers le CIPLEV et toutes les initiatives mises en œuvre aux niveaux national, régional et local.
Le ministre du désenclavement et des pistes rurales, Kanfitine Tchede Issa travaille personnellement sur le programme destiné à garantir la mobilité et l’accessibilité dans la région. J’avais déjà indiqué que le ministre Gilbert Bawara, est engagé dans la sensibilisation et l’implication des forces sociales à la construction d’un consensus national autour de la lutte contre l’insécurité. Pour sa part, le ministre des droits de l’homme, de la formation à la Citoyenneté et des relations avec les institutions veille à l’articulation entre lutte contre le terrorisme et droits de l’homme. Après avoir dirigé l’opération Koundjouaré, le Général de brigade Dadja Maganawé a été un acteur clé dans la mise en œuvre du PURS, avec des résultats que l’on voit.
En amont, au niveau de la présidence de la République, le président Faure Gnassingbé est soutenu par la ministre-secrétaire générale, Sandra Ablamba Johnson qui suit de près toutes les questions liées à la réponse sécuritaire. Son implication permet en un suivi rigoureux des initiatives en cours. Le ministre-conseiller du président, Pascal Bodjona, chargé des affaires politiques, contribue activement à la réflexion stratégique auprès du chef de l’État sur ces questions sécuritaires. Tous ces acteurs clés jouent un rôle essentiel dans l’élaboration et la mise en œuvre de cette stratégie holistique. Celle-ci a donc de bonnes chances d’être couronnée de succès avec la mobilisation de l’ensemble de l’appareil d’État togolais face aux défis sécuritaires posés par la menace terroriste.
Estimez-vous que les pays du Sahel doivent intensifier leurs efforts pour mieux intégrer la prévention du terrorisme dans leurs stratégies de développement ?
Oui, les pays du Sahel doivent adopter la même approche que le Togo. Ils doivent asseoir leurs réponses sur un pilier militaire et sécuritaire, ce qu’ils font déjà en équipant leurs forces de défense et de sécurité de moyens nécessaires pour la mobilité, tels que des hélicoptères de combat, des hélicoptères de transport de troupes et des moyens d’infanterie suffisants. Parallèlement, il est crucial d’accélérer les actions de prévention.
Nous avons vu que le Togo s’est doté du CIPLEV. Le Mali et le Niger ont mis en place des politiques similaires pour prévenir et lutter contre l’extrémisme violent.
La prévention, en particulier envers les jeunes, comme le fait le Togo, ainsi que les autres couches sociales les plus vulnérables, doit être de mise. En effet, les groupes jihadistes profitent de la fragilité et de la vulnérabilité, notamment des jeunes, pour les recruter.
Il est important de compléter ces deux dispositifs, réponse militaire et prévention, par des initiatives axées sur le développement.
J’estime que la prévention et le développement doivent être des priorités cruciales. Les groupes jihadistes tirent parti de l’absence de développement dans les régions touchées. C’est pourquoi, il est essentiel, comme le montre le PURS au Togo, que d’autres pays mettent également en œuvre d’abord des programmes d’urgence, ensuite des programmes de développement dans ces régions. Parce qu’une fois la situation d’urgence gérée, il est nécessaire d’adopter des mesures de développement à long terme afin de protéger les populations de la menace terroriste. Les jihadistes exploitent la vulnérabilité des jeunes pour faire avancer leur agenda : il est impératif de renverser cette dynamique.
Quels sont les principaux défis auxquels les pays du Sahel et du Golfe de Guinée sont confrontés face au terrorisme islamique ?
L’un des plus importants réside dans la nécessité de coordonner les efforts entre les pays du Golfe de Guinée et les États du Sahel. Lorsque des pays, comme le Togo, mettent en œuvre des stratégies adaptées et efficaces, il est essentiel qu’ils puissent avoir un répondant du côté des pays du Sahel.
Un effort de coordination est donc essentiel. Par exemple, il est important que le Togo collabore avec le Burkina Faso, le Bénin et la Côte d’Ivoire. Les pays du Golfe de Guinée doivent unir leurs forces avec celles du Sahel afin d’élaborer une réponse collective, transnationale et régionale face aux défis sécuritaires. C’est là le véritable enjeu pour les nations du Golfe de Guinée et celles du Sahel. Il y a peu, des efforts ont été entrepris pour que les pays de l’initiative d’Accra qui regroupe le Togo, le Ghana, la Côte d’Ivoire, le Bénin et le Burkina Faso travaillent avec l’ancien G5 pour construire une réponse commune sous-régionale. Mais cette approche n’a pas prospéré : le G5 Sahel est mort et l’Initiative d’Accra est en panne. Aujourd’hui, il n’existe plus de coopération entre les pays du Golfe de Guinée et ceux du Sahel en matière sécuritaire. Or, aucune de ces deux zones prise isolément ne peut faire face à elle seule à cette menace. Il est donc important de rétablir la coopération sécuritaire entre le Golfe de Guinée et les Etats du Sahel. Le défi est aujourd’hui transnational, la réponse doit l’être aussi.
Où en sont les autres initiatives régionales ou sous-régionales de la lutte contre le terrorisme ?
Il n’existe pas d’initiative régionale qui englobe à la fois les pays du Sahel et ceux de l’Afrique de l’Ouest. La CEDEAO a annoncé la création d’une force de lutte contre le terrorisme, mais cette annonce n’a pas été suivie d’effets et il n’existe pas de réponses globales et coordonnées au niveau sous-régional. À mon avis, cela représente une faiblesse. Il est impératif qu’une réponse sous-régionale soit rapidement mise en place. Aujourd’hui, la menace terroriste au Sahel est devenue une préoccupation sous-régionale qui requiert des acteurs et des initiatives allant au-delà du seul Sahel et des pays du Golfe de Guinée. La réponse à la menace terroriste nécessite une initiative régionale qui englobe à la fois les pays du Golfe de Guinée et ceux du Sahel. Mais à ce jour, cette initiative est aux abonnés absents, et il est regrettable de ne pas observer un leadership clair de la CEDEAO dans sa mise en œuvre.
Le Togo défend le principe de garder de bonnes relations avec les pays de l’AES (Alliance des États du Sahel) et de la CEDEAO. Est-ce que cette approche peut avoir du sens dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ?
Absolument ! Je suis intimement persuadé que le Togo a fait le bon choix en défendant le principe de maintenir des liens entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel. En effet, il est impossible de lutter efficacement contre le terrorisme en Afrique de l’Ouest, peu importent les moyens déployés, si l’on ne dialogue pas avec les pays de l’Alliance des États du Sahel, notamment le Niger, le Mali et le Burkina Faso, qui sont l’épicentre de la menace terroriste. À mon avis, la position du Togo, qui consiste à ne pas tourner le dos à ces pays, représente une approche intelligente et même une sagesse diplomatique portée par le ministre Robert Dussey.
Personne n’a intérêt à voir un affrontement entre la CEDEAO et les pays de l’Alliance des États du Sahel. Une telle confrontation serait non seulement contre-productive, mais également suicidaire pour toutes les parties impliquées. Prenons quelques exemples : le Niger a pour port naturel le Bénin, et son partenaire commercial majeur est le Nigeria. De son côté, le Mali entretient des relations commerciales étroites avec le Sénégal et la Côte d’Ivoire, utilisant les ports d’Abidjan et de Dakar. Quant au Burkina Faso, ses principaux partenaires commerciaux incluent le Bénin, la Côte d’Ivoire et le Togo.
Ainsi, on peut constater que les intérêts des uns et des autres sont étroitement liés, et personne n’a à gagner d’une confrontation fratricide. Il est essentiel, sur tous les plans, d’adopter une approche intelligente et de créer des passerelles entre les pays de l’Alliance des États du Sahel et ceux du Golfe de Guinée.
Il est même essentiel que cette coopération se poursuive et qu’elle soit renforcée. Je crois fermement que l’approche défendue par le président Togolais, Faure Gnassingbé, qui prône un dialogue continu entre les pays du Sahel et ceux de la CEDEAO, est la plus judicieuse : elle repose sur le bon sens et le pragmatisme. En effet, il est inconcevable de dissocier l’arbre de l’écorce : la CEDEAO et l’AES sont intrinsèquement liées. Il est donc impératif de travailler à une synergie parfaite dans l’intérêt de tous.
Cette approche sera certainement bénéfique dans la lutte contre l’insécurité. Le Niger ne peut pas faire face à cette menace sans le soutien du Bénin, tout comme le Bénin ne peut pas lutter efficacement contre les groupes terroristes sans l’implication du Niger et du Burkina Faso, ses voisins immédiats. Cette interdépendance souligne l’importance d’une coopération étroite entre ces pays pour garantir la sécurité régionale.
Il est clair que, dans la lutte contre le terrorisme, l’Alliance des États du Sahel (AES) et la CEDEAO doivent travailler main dans la main. L’approche que le Togo défend, qui prône la coopération entre l’AES et la CEDEAO, est salutaire. Établir des ponts entre ces deux organisations est essentiel pour obtenir des résultats concrets et tangibles dans la lutte contre cette menace commune.Cette approche est, non seulement politiquement justifiée, mais aussi intelligemment réfléchie.
Propos recueillis par Joseph MB
Qui est Seidik Abba ?
Journaliste et universitaire, Seidik Abba préside actuellement le Centre de réflexions et d’études sur le Sahel (CIRES, Think Tank basé à Paris). Ancien rédacteur en chef central à l’hebdomadaire panafricain Jeune-Afrique etancien Chroniqueur et reporter au Monde Afrique, il commente régulièrement l’actualité internationale et celle du Togo sur plusieurs médias internationaux comme TV5 Monde, France 24, BBC, La Voix de l’Amérique, Deustche Welle (DW), RFI. Les ouvrages de M. Abba, publiés aux Editions L’Harmattan à Paris, portent sur les problématiques de paix et de sécurité au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad : Voyages au cœur de Boko Haram, Enquête sur le djihad en Afrique subsaharienne, en 2019 ; Pour comprendre Boko Haram, en 2021 ; Mali/Sahel. Notre Afghanistan à nous ?, en 2022, chez Impacts Editions. Seidik Abba collabore par ailleurs en tant que chercheur associé à l’Université polytechnique du Haut-de-France (nord de la France), où il a soutenu une thèse de doctorat en Sciences de l’Information et de la Communication (SIC), et au Groupe interdisciplinaire de recherche en histoire de l’Afrique (GIRHA) de l’Université du Québec à Montréal (UQAM, Canada). Il est aujourd’hui un des meilleurs spécialistes de la menace terroriste au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad.